Le dispositif ACCrochage mixte a été imaginé par Philippe Marcus et l’association ARTMERCATOR pour l’Atelier de la Cour Carrée à Pontault-Combault. L’idée au coeur du projet est de proposer une rencontre entre le travail des artistes et les publics de l’atelier, enfants comme adultes, de l’atelier engagés dans un apprentissage artistique.
Il permet d’une part aux artistes émergents de proposer un projet hybride à mi-chemin entre l’accrochage d’atelier et la scénographie de l’exposition et d’autre part de développer une proposition expérimentale détachée des enjeux habituels inhérents à la monstration muséale.
L’artiste conçoit un dispositif ouvert, plus axé sur la recherche que sur le résultat final, une sorte de temps arrêté du processus créatif destiné à un lieu de vie. Pour les publics des ateliers, cet accrochage permet un rapport direct à l’oeuvre des artistes et est suivi de sujets liés aux problématiques abordées par l’artiste présenté.e, qui seront développés pendant les cours hebdomadaires.
L’Atelier de la Cour Carrée accueillera des classes des écoles environnantes et des structures partenaires qui pourront bénéficier gratuitement d’ateliers et de médiations encadrés par un intervenant artiste.
Thomas Perino – La grande forme – printemps / été 2025
Curator : Philippe Marcus
Crédit photographique : Romain Darnaud
Thomas, c’est d’abord l’histoire d’une amitié, profonde. Puis d’un respect mutuel, et enfin d’œuvres respectives qui se nourrissent l’une de l’autre sans jamais se copier. D’aucuns diront que, de toute façon, je ne sais travailler qu’avec mes amis, et c’est vrai. Comment pourrait-il en être autrement ? Comment ne pas aimer ces artistes qui enchantent notre monde désabusé de leur générosité, et dont Thomas est l’exemple par excellence ?
Alors bien évidemment, c’est tout sauf un hasard lorsque je l’invite dans le cadre d’ACCrochage mixte et ça ne peut pas être pour un simple « projet » de plus. Ici, on parle d’un tout, de temps passé ensemble, de discussions, de désaccords, parfois couverts par un bruit de verres qui débordent sur les feuilles pas encore gravées. Finalement il ne sera presque pas question d’art puisque l’art sera toujours ce cheval à la traîne qui essaie, haletant, de ressembler à la vie. On n’évoquera que le sensible et le présent, celui offert en pâture au regardeur. Ce n’est pas la volupté des œuvres de Thomas qui pourrait nous induire dans une autre direction. La rigueur démesurée de son travail se ressent dans la précision du moindre des sillons qu’il creuse dans le bois servant aux matrices de ses compositions à la justesse si synthétique.
Dès lors, proposer à cet artiste de génie, un jeu, s’impose comme une évidence. Lui qui a passé 5 ans à graver l’entièreté du Tarot, en dépit des aléas d’une vie qui ne lui a pas toujours offert le tirage qu’il mérite. Il s’agira donc cette fois d’imaginer une forme dans un nombre de traits limités qui pourraient une fois reportée sur le mur accueillir dans ses interstices des gravures encadrées, pour finalement donner à voir un panorama du travail de Thomas, où le trait, le fond et la forme se juxtaposent dans des échelles variables pour créer ce qu’il nomme avec une pointe d’espièglerie : La grande forme.
Philippe Marcus, février 2025
Romain Sein – Les gros vilains – automne / hiver 2024
Curator : Philippe Marcus

Crédit photographique : Romain Darnaud
« Les Gros Vilains » ou l’Art de décamper
Dans la forêt de Montargis en périphérie de la commune de Paucourt « la clairière au mille pommiers », il existe un petit monument du néolithique que l’on appelle familièrement « la Pierre du Gros Vilain ». Il s’agit en fait d’un menhir d’à peu près 1m80 marquant un ancien lieu de culte ou de sorcellerie que le promeneur cu- rieux pourra solliciter car il a la réputation d’exaucer les voeux de ses visiteurs. Bien qu’il ait glané les rochers qui lui ont servi de modèle à Fontainebleau en Seine et Marne, Romain Sein a choisi d’utiliser le nom de cette pierre levée pour sa fresque. Quel meilleur titre en effet pour sa peinture murale que celui de cette roche dans laquelle tout un chacun peut projeter ses fantasmes ? Il s’agit en effet pour Romain de faire appel dans son dessin à la faculté paréidolique du spectateur, c’est à dire à se figurer au sein d’ensembles formels apparem- ment chaotiques tels qu’un morceau de roche ou de nuage, des formes vivantes, animales ou humaines. Parmi ses illustres prédécesseurs il y a évidemment les surréalistes et notamment Max Ernst, mais c’est certainement Léonard de Vinci qui en aura fait les plus grands éloges dans ses textes sur le dessin.
Or quelle est la fonction première de la paréidolie chez l’humain ? Elle est en fait un reliquat d’une fonction très ancienne du cerveau à distinguer dans la nature les formes de danger camouflés à son regard, tigres tapis dans la forêt, serpents suspendus comme des lianes, afin de leur échapper.
Le principal danger auquel est confronté l’artiste dans la jungle du monde de l’art actuel est de s’enfermer dans un formalisme répondant aux besoin d’un académisme contemporain pour lequel le médium, le geste, la pratique seraient nécessairement le reflet d’une thèse (historique, politique, sociologique) que l’on assènerait aux spectateurs. Il y a en quelque sorte un tabou de l’arrière-monde de l’artiste et du spectateur, un refus de la bête dans la jungle ou du motif dans le tapis chers à Henri James.
Il me semble que le travail de Romain Sein, dans sa recherche perpétuelle de renouvellement des formes, de leurs rythmiques, du temps du regard qu’implique un travail de la surface comme composition musicale, échappe à cet écueil. C’est en cela qu’il est un vilain. Au moyen-âge le terme de vilain désignait le paysan libre par opposition au serf. C’est à dire que, s’il se mettait périodiquement au service d’un seigneur pour tra- vailler sur ses terres, il avait tout loisir s’il le souhaitait de « décamper » c’est à dire de le laisser tomber et de s’installer ailleurs en
se mettant au service d’un autre. En changeant de support et de pratique, s’échappant du papier pour aller vers la fresque, non seulement Romain Sein prend la liberté de décamper, mais de plus il offre au spectateur cette même possibilité qu’offre ses roches aux formes grotesques, d’y voir des rochers, des visages grimaçants ou tout simplement une composition graphique sur un mur. Fuyant la tyrannie du sens au profit de l’expérience joyeuse de la forme, il nous permet à nous aussi de décamper et nous rend notre liberté faisant de chacun d’entre nous un vilain.
Nicolas Bourbaki, 2024
Alicia Zaton – Songes Tressés – printemps / été 2024
Curator : Philippe Marcus
Crédit photographique : Romain Darnaud
Devant nos yeux, se disséminant le long du mur : un florilège de matériaux, de textures et de formes énigmatiques, tâtonnantes, presque organiques. Paraissant empiriquement transposées de son atelier d’expérimentation, les explorations plastiques d’Alicia Zaton se répandent sensiblement, mystérieusement, dans l’espace dans une dimension scénographique.
Disposées çà et là, suspendues, accrochées, cachées pour certaines, elles sont comme les fragments dispersés, les pièces éparses d’un puzzle intime à reconstituer. Sans se dévoiler entièrement, l’artiste révèle une partie d’elle-même, de son identité, au travers de cet ensemble de Songes tressés. Ces travaux oubliés, mis de côté, morcelés, sont aujourd’hui noués entre eux par d’invisibles récits, explicitement suggérés par la matière.
Il serait tentant de penser qu’ils sont les simples morceaux restitués de narrations passés, mis au rebut et échoués lors du processus créatif. Pourtant, réunis et chargés de la densité émotionnelle qui leur a alors été conférée, ils en sont désormais le point de départ potentiel, la genèse. Ils portent en eux le cheminement intérieur, la fragilité de l’hésitation, du doute comme habités des secrets mémoriels d’Alicia Zaton.
Hybridant entre œuvres d’art et objets totems, chaque pièce dans son individualité semble appartenir à un rite, subtilement empreinte des détails de son histoire personnelle et transgénérationnelle. À l’image de la tresse que l’on aperçoit dissimulée derrière un rideau, on peut deviner le geste ancestral liant les femmes entre elles, à l’abri des regards, dans l’intimité d’une douche.
Et c’est dans la simplicité d’un morceau de carrelage ou d’une porte de placard de cuisine, comme les bribes reconstituées de lointains espaces domestiques, que se loge toute l’intensité des émotions. En les associant à des photographies argentiques, l’artiste évoque et invoque, par allusions, des souvenirs vécus ou fantasmés pour mieux y creuser les strates du temps, en saisir les contours, en capturer l’essence. Ressusciter ces moments de vies passés et ériger les vestiges, les reliques réinventées et mystifiées, de l’autel sacré des réminiscences.
Telle des pièces à conviction scrupuleusement sélectionnées, les œuvres d’Alicia Zaton sont une invitation à résoudre l’énigme, percer le mystère qui hante son travail d’une aura fantomatique. Ce n’est cependant pas seulement à autrui qu’elle l’adresse, mais aussi à elle-même. Comme la tentative invétérée, teintée d’affectivité, de remonter le fil et les failles de son archéologie familiale pour, enfin, y puiser les racines de son existence.
Maya Trufaut
Sarah Lück – Surface boogie-woogie – automne / hiver 2023
Curator : Philippe Marcus
Crédit photographique : Romain Darnaud
Romain Le Badezet – Correspondances visuelles – Printemps / été 2023
Curator : Philippe Marcus
Crédit photographique : Romain Darnaud
Romain le Badezet livre, ici, un travail à mi chemin entre le fil et l’aiguille brodant à grand renfort de traits un patchwork d’aller-retour entre deux histoires. L’une est personnelle et l’autre, collective. Les deux racontent quelque chose de l’oubli avec pudeur, et si une apparente légèreté domine les recherches plastiques de l’artiste, faites de bricolage de précision, ce n’est que pour emplir ces associations visuelles, un brin hasardeuses, d’une féerie populaire toujours pleine de justesse.
Philippe Marcus











